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Côte d’Ivoire

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Résumé analytique

Télécharger le rapport en Français.

Alors que les élections présidentielles approchent en Côte d’Ivoire, le pays se trouve à un carrefour : soit il continue à vivre une époque de paix relative, soit il revient au type de violence définie par l’ethnicité qui a terni son passé. Chaque transition politique de son histoire a engendré des exactions contre les civils. Plus récemment, en 2010-2011, la crise qui a éclaté lorsque les partis politiques contestaient les résultats des élections présidentielles a mené au ciblage systématique des civils par les deux bords. Bien qu’aucune de ces atrocités (à savoir, des violences à grande échelle et systématiques contre des populations civiles) n’ait lieu pour l’instant, des signes avant-coureurs sont visibles. Le gouvernement ivoirien et les partenaires internationaux doivent accorder une attention immédiate à la situation et agir en amont afin d'atténuer les risques, prévenir les violences, et contribuer à sauver des vies. Pour éviter que ces conjectures se réalisent, nous proposons diverses options politiques, qui seront détaillées plus avant à la fin de ce rapport, dans la section intitulée « Recommandations ».

Notre analyse porte à croire que les affrontements entre les principaux partis politiques, dont les membres ont montré une propension à recourir à la violence lors d’autres scrutins aux enjeux élevés, pourraient déboucher sur d'autres exactions et des atrocités de masse avant, pendant et après les élections. C'est une période où les risques sont accrus, notamment parce la politique ivoirienne est en substance un jeu à somme nulle : pour les politiciens et leurs partisans, le vainqueur du vote de 2020 « rafle tout » tant par rapport au contrôle politique qu’économique du pays. C'est une attitude qui a déjà mené les leaders politiques à instrumentaliser les griefs liés à l’identité ethnique et à l’économie dans le but de diviser les communautés et inciter à la violence de sorte à consolider les allégeances et générer un soutien. Aujourd’hui, le risque de résurgence d’une telle idéologie d’exclusion est bien présent.

Quatre facteurs structurels majeurs viennent appuyer ce risque d'atrocités criminelles en Côte d’Ivoire. Premièrement, la Côte d’Ivoire a connu deux guerres civiles ces vingt dernières années, avec à chaque fois des violences délibérées contre des civils, commises pour des raisons d'appartenance ethnique. Deuxièmement, l’affiliation politique se définit sur des critères ethniques et régionaux, ce qui transforme la compétition électorale en combat pour la prédominance d’un groupe. Bien que les partis politiques ne soient pas homogènes (la Côte d’Ivoire compte plus de 60 ethnies parlant plus de 80 langues), l’identité tend à déterminer l'affiliation politique. Par le passé, l’idéologie d’exclusion a introduit des discriminations contre les habitants du Nord (les « Nordistes ») et pourrait resurgir. En même temps, c'est une nouvelle idéologie qui est en train de voir le jour, qui tend cette fois à exclure d'autres populations. Troisièmement, des rivalités liées à la propriété foncière et à l’accès foncier entre Ivoiriens d’origines ethniques différentes, ou entre Ivoiriens et étrangers, constituent une source de conflit omniprésente que des politiciens peuvent exploiter pour rallier le soutien d'un plus grand nombre. Et quatrièmement, les inégalités socioéconomiques et les disparités régionales entretiennent les discours selon lesquels des groupes d’Ivoiriens auraient des avantages que d'autres n’ont pas, ou même que certains représenteraient une menace.

Dans le contexte de ces problèmes structurels, cinq facteurs ont conduit à une accélération des risques : (1) la rupture d’anciennes alliances politiques, (2) les divisions partisanes entre forces armées, (3) la perception par les partis d’opposition politique que le parti au pouvoir abuse de son autorité, (4) un accès généralisé aux armes, et (5) des allégations dangereuses dans le discours politique et public.

D'après notre analyse, des événements déclencheurs pourraient se produire d’ici un à deux ans, avant, pendant ou après les élections prévues pour l’automne 2020. Parmi les risques d’explosion potentiels, on compte l’investiture de membres de la Commission électorale indépendante (CEI), l’impression que des partisans influents sont ciblés à des fins de poursuites judiciaires, une mauvaise gestion du retour de l’ancien président Gbagbo suite au procès à la Cour pénale internationale de La Haye, et l’annonce des résultats électoraux.

Quel que soit le scénario, nous estimons que les violences ne commenceraient pas au niveau de la direction du parti, et ne seraient pas—en tout cas pas au début—cautionnées par les responsables politiques, qui ont tout intérêt à passer pour des artisans de la paix auprès des Ivoiriens et de la communauté internationale. Elles seraient plutôt déclenchées par des manifestations, qui pourraient dégénérer en émeutes, avec l'arrivée de groupes de jeunes affiliés au parti (et pouvant éventuellement se procurer des armes), de milices communales, de compagnies de sécurité privées, de groupes d’ex-combattants, et de l’armée. Partout dans le pays, des doléances, comme celles liées aux conflits fonciers, pourraient bien venir alimenter les flammes. Il pourrait suffire d’une période d'agitation politique, attisée par des propos haineux et des discours alarmistes propagés par les responsables au pouvoir, pour que les gens décident de régler leurs comptes, élargissant l’ampleur du conflit par des appels à la solidarité ethnique au sein des régions et entre elles, comme une justification à prendre les armes.

Au moment où ces lignes sont écrites, au printemps 2019, plusieurs facteurs demeurent incertains et limitent nos capacités à décrire en détail des scénarios d'atrocités criminelles plausibles. Il est en particulier difficile d’anticiper qui sera le plus à même de commettre des crimes et quels groupes seront ciblés, tant que les clivages majeurs dans les élections présidentielles n’apparaîtront pas plus clairement. Cette incertitude ne devrait cependant pas servir de prétexte pour minimiser les risques d'atrocités criminelles. Nous identifions trois sources potentielles de conflit, qui pourraient changer en fonction de la déclaration des candidats par les partis, de la réforme éventuelle de la CEI, et d'une annonce de l’ancien président Gbagbo clarifiant sa position et ses intentions quant aux élections.

  1. Si l’ancien chef rebelle Guillaume Soro et le président Ouattara se présentent, une confrontation entre leurs partisans pourrait s’intensifier et, à terme, diviser l’armée. Parce que l’on ne sait pas exactement dans quelle mesure l’armée suivrait Soro, il est difficile de déterminer quel camp prendrait le dessus ou quel groupe de civils compterait le plus de victimes. Ce scénario catastrophe pourrait entraîner des atrocités des deux côtés.
  2. La composition de la CEI avant les élections, ou le scrutin lui-même, pourrait engendrer des violences entre partisans des anciens alliés, le Parti démocratique de la Côte d’Ivoire (PDCI) et le Rassemblement des Houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP unifié). Dans ce cas, le PDCI est moins capable de commettre des violences que le RHDP unifié, faisant de ses partisans le groupe qui sera le plus probablement ciblé, surtout si celui-ci a recours à l’armée en réaction aux manifestations.
  3. Enfin, si l’ancien président Gbagbo, récemment jugé pour crimes contre l'humanité à la Cour pénale internationale, décide de revenir en Côte d’Ivoire et conteste le scrutin, son retour et sa candidature éventuelle aux élections présidentielles de 2020 pourraient déclencher de nouvelles protestations et de nouvelles violences. Par exemple, il pourrait y avoir des affrontements entre les partisans de Gbagbo au sein du Front populaire ivoirien (FPI) et ceux du RHDP unifié, auxquels on peut ajouter les opposants à sa libération, notamment les sympathisants du président Ouattara et les victimes de la crise de 2010-2011. Le scénario mettant dos à dos le FPI et le RHDP unifié est également plausible si l’épouse de l’ancien président, Simone Gbagbo, se présente à sa place.